THE NIGHTMARE BEFORE CHRISTMAS

La comédie musicale à travers le film d'animation

(L'ETRANGE NOEL DE M. JACK)  

 

Fiche Technique
I - Les apparences du film
II - L'animation
III - La musique

 
"Nous avons une musique intitulée Making Christmas, dans laquelle nous passons des personnages de Christmastown emballant leurs cadeaux, à ceux de Halloweentown empaquetant araignées, serpents, têtes de morts et poupées hurlantes. C'est un grand numéro musical", explique un publiciste de chez Touchstone Pictures, la société qui a produit le film.
Ce grand numéro fait partie de The Nightmare before Christmas de Tim Burton, long métrage d'animation basé sur une histoire et des sketches créés par Burton il y a 11 ans, lorsqu'il était marionétiste et réalisateur chez Disney. Burton, le producteur de The Nightmare before Christmas a aussi dirigé les films Pee-wee's Big Adventure, Beetlejuice, Edward Scissorhands (Edward aux mains d'argent), Batman, Batman II. Sa vision est typiquement sombre, même lorsqu'il s'agit de la période des fêtes.
Dans The Nightmare before Christmas, les habitants de Halloweentown, responsables de la fête d'Halloween, tentent de substituer la fête de Noël aux habitants de Christmastown pour s'en charger eux-mêmes. Le Père Noël (Santa Claus en américain dans le film) est donc kidnappé et presque dévoré par un monstre aux apparences d'araignée et de serpent, avant que l'instigateur de cette révolte festive, Jack Skellington ne s'aperçoive de son erreur et sauve le Père Noël.
The Nightmare before Christmas se veut un monde et une apparence nouveaux dans le sens où tout est né dans l'esprit de Burton ; c'est lui qui supervisa le tournage pour qu'il y ait la meilleure adéquation entre sa pensée et les images produites. Sa participation est énorme ; et le travail avec des artistes et décorateurs talentueux permit la création d'un monde aussi original que celui qu'il nous a été donné de découvrir dans des films comme Metropolis ou Le Cabinet du Dr. Caligari et Star Wars. Ce que tous ces films ont en commun est une richesse visuelle si abondante qu'elle permet plus d'une approche du film.
Il y a d'abord l'histoire puis ensuite les différentes petites surprises et inspirations que l'on peut voir dans chaque coin et recoin d'écran.Le Père Noël et Jack Skellington

Fiche Technique
 
The Nightmare before Christmas
€ Titre français : L'Étrange Noël de M. Jack
€ Réalisation : Henry Selick
€ Scénario : Tim Burton
€ Production : Tim Burton
€ Musique : Danny Elfman
€ Direction artistique : Dean Taylor
€ Interprètes V.O. (voix uniquement) : Danny Elfman (Jack Skellington), Chris Sarandon (Jack Skellington), Catherine O'Hara (Sally), William Hickey (le savant diabolique), Glenn Shadix (le maire de Halloweentown), Paul Reubens (Lock), Ken Page (divers).
€ Durée : 74 mn.
 
I - Les apparences du film
À la différence des autres personnages de films d'animation, les marionnettes du film existent dans un espace réel, de sorte que les conditions de tournage puissent être les mêmes que celles d'un film d'action conventionnel, mais à une échelle réduite.
En ce qui concerne l'éclairage, Pete Kozachik, le directeur de la photo du tournage dira : "My overall lighting concept on the show ? Like Gustav Doré, who illustrated Dante's Inferno." "One film I've asked the crew to look at is The night of the Hunter (Charles Laughton, 1955). In no way it is realistic, but it's got a lot of seriously hard, dramatic lighting effects." La photo respecte en gros les principes d'éclairage du noir et blanc, chaque personnage demandant un éclairage ou une application lumineuse particuliers pour le faire ressortir. La lumière fonctionne donc par touches violentes sur les poupées et souligne assez bien l'âpreté de la texture des matières qui constituent l'arrière-plan. Car aucun élément ne se veut réaliste ; tout doit être vu pour la première fois : cela maintient le spectateur dans la surprise permanente. Nous assistons d'abord à la découverte d'Halloweentown (monde lugubre dans lequel certains décors évoquent le réalisme photographique) puis de ses habitants (complètement extravagants et extravertis). Il y a un goût du détail très prononcé, certes, mais en aucun cas conforme à la réalité qui nous est donnée de connaître.
Parallèlement, ce sont les caractères des personnages créés par Burton qui font de ce film une äuvre intéressante. Le bouillonnement intérieur de Jack le fait être aimé de son audience, même à travers ses diverses bévues. "L'actrice" secondaire, Sally est une poupée patchwork de type Frankenstein (démembrable à volonté - en mille morceaux il suffit qu'elle se recouse bras et jambes pour pouvoir vivre à nouveau) qui patiemment tente de gagner l'affection de Jack tout en essayant de le dissuader dans son projet visant à remplacer le père Noël. Sally incarne en quelque sorte l'äil critique et lucide du spectateur, car elle est la seule à percevoir le drame qui se trame. Comme nous, elle est impuissante dans ses agissements ; elle a à faire à une volonté aveugle, doublée par un engouement pour la fête des habitants de Halloweentown. Elle ne peut que constater et tenter de faire entendre sa voix qui ne pèse rien dans les décisions de Jack.
Le scientifique diabolique, le Dr. Finkelstein, créateur de Sally, est heureux d'aider Jack pour la création des rennes du traîneau. Pour cela, il donne vie à des sacs d'ossements divers en leur appliquant des décharges électriques appropriées.
Dans The Nightmare before Christmas, tout a droit à la vie : le Mal comme le Bien doivent avoir leur place dans cet univers fantastique pour équilibrer une société étrangement constituée.
 
II - L'animation
Le film a été tourné image par image avec des poupées en trois dimensions filmées dans des décors miniatures. Avec ce procédé, chaque photogramme de la pellicule est individuellement exposé et les marionnettes sont bougées infimement par les responsables de l'animation entre chaque exposition. Rien ne bouge pendant la durée d'exposition de la pellicule, d'où le terme anglais "stop-motion animation".
Les films de Burton comprennent toujours des personnages étranges au maquillage peu commun, mais en raison de l'apparence squelettique du héros de The Nightmare before Christmas, l'auteur pensa que tout ne pourrait être fait en "live action". "The way that Jack looks, it pretty much had to be animation. You're not going to find an actor that is Jack, even with makeup. I've never liked animation just for its own sake. I think it should serve whatever the story is.", dit Tim Burton.
Bien que le film comprenne de nombreuses figures, plus ou moins approfondies suivant leur importance dans l'action, c'est Jack Skellington qui doit "porter" le film. C'est un squelette qui dépasse - chez le spectateur - le stade de l'effraiement basique. Il devient attachant dans son rapport aux autres personnages. Ses mouvements sont d'une fluidité extrême lorsqu'il danse pendant ses accès de jubilation. De plus, les mouvements gracieux de Fred Astaire furent étudiés pour créer la chorégraphie de Jack. Avec sa tête de balle de base-ball, Jack est plus engageant qu'effrayant.
La composition des scènes est par ailleurs remarquable : les poses poétiques de Jack sur un fond de lune, les marches de Sally déclarant son amour seule dans le cimetière à un Jack qui devrait l'entendre. Conjonction de diagonales dynamiques si la scène est vive (de bas gauche vers haut droit de l'écran), ou au contraire, multiplication des diagonales non-dynamiques (de haut gauche vers bas droite) si l'action est triste ou morose (extrêmement visible sur les scènes de remise en question de Jack qui veut à tout prix quelque chose de différent d'Halloween).
Se rajoutent à ces évolutions corporelles les différents faciès créés pour Jack. Ils sont au nombre de 800 visages variés, allant de l'attitude mélancolique à la joie que procure une fantastique trouvaille (celle de kidnapper le Père Noël).
L'habillage des poupées est très bien réalisé. Les différents personnages de Halloweentown sont d'un grotesque approprié ; de l'expression exagérée du sourire de Jack aux râles informes d'Oogie-Boogie produisant des bulles de bave dès qu'il ouvre la bouche. Tout cela convient tout à fait à un film sur Halloween et ses déboires. Cet univers animé n'est pas composé pour créer en nous ce sentiment de croyance en la "diégèse". Le scénario de Tim Burton nous plonge dans l'univers de l'enfance ; croyons l'espace d'une bonne heure en cet autre monde, où l'on peut se démembrer à volonté sans mourir, car la croyance est plus forte que la mort, chez les enfantsS¼ et ces petits personnages articulés bougeant si fluidement deviennent des acteurs extraordinaires l'espace d'un moment musical admirablement mené par Danny Elfman, chargé de la musique, mais assurant aussi le doublage des moments de chant de Jack.
 
III - La musique
Jack Skellington est donc doublé par deux hommes : Chris Sarandon pour les dialogues et autres textes non chantés, et Danny Elfman lorsqu'il chante. Elfman est le compositeur de la musique et des paroles chantées. Il a créé une partition orchestrale magistrale, et contribué à 10 musiques qui sont théâtralement plus solides que de récents numéros de Disney vendus à plusieurs millions. Il y a une profondeur dans la mélodie d'Elfman et de l'intelligence dans l'harmonie paroles-musique et animation à l'écran (éminemment remarquable dans le numéro Jingle Bells dans Halloweentown).
Ainsi, le film est magnifiquement servi par sa musique, un thème qui s'écoute en soi. Pour preuve : la seule audition de la bande sonore permet de saisir l'histoire dans sa globalité ; l'animation se repose - à raison - sur la musique qui fait véritablement décoller l'action. L'orchestre nous sort du glauque d'Halloweentown et nous fait partir dans une sorte de gaîté malsaine, pendant laquelle on s'enthousiasme car le thème (musical) est porteur mais l'action sordide (en témoigne la scène de confection des cadeaux par Jack et ses compères, emplissant les futurs présents de Noël des enfants de toutes sortes d'objets d'épouvante).
Tout tient ensemble ; paroles et musique portent bien le film, racontent aussi l'histoire. C'est une vraie comédie musicale qui ne tire ses origines que de l'inspiration de ses créateurs et du mythe d'Halloween. Les mélodies sombres et lentes en tonalités mineures sont appropriées au thème d'Halloween, c'est à dire que l'on assiste à une double dramaturgie qui progresse à la fois dans "the orchestral score" et dans l'action visible sur l'écran. Ces deux éléments fonctionnent en rythme : soit nous avons l'impression que l'image appelle la musique en tant qu'élément indispensable, ou alors, l'image donne un second souffle à la musique, avec les enchaînements de mouvements de Jack qui tirent la musique chaque fois plus en avant.
Elfman ne s'est pas cantonné dans un type musical précis. La musique est adaptée à l'action présente à l'écran, mélancolique ou très emportée. La constante réside dans les instruments utilisés. L'homogénéité de la partie musicale autorise la différenciation de trois groupes distincts : l'image, les paroles (chantées ou non) et l'orchestre. Ces trois ensembles peuvent être proposés comme les niveaux de contemplation du film ; chacun d'eux pouvant être considéré et admiré pour lui-même étant donné leur richesse.
Les paroles vont bien entendu de pair avec le scénario. Nous sommes dans un monde complètement inventé, nouveau. Les paroles viennent accentuer l'atmosphère irréelle : elles sont, comme les images, en parfait décalage avec le monde auquel nous sommes habitués. À maintes reprises nous sentons que les mots deviennent, dans la bouche de ces petits personnages, des formules magiques incantatoires, amusantes ou effrayantes, si tant est que nous parvenons à aborder le film en enfant sensible l'espace d'une bonne heure.
Les moments chantés donnent une touche lyrique au film de Burton. Il va sans dire que la majorité du texte anglais est en vers. Nombre de parties que l'on pourrait qualifier de cruciales nous sont livrées sous la forme chantée, comme par exemple l'exposition des projets de Jack à toute la ville rassemblée à la mairie. Cette scène est par ailleurs l'une des plus dramatiques du film car nous réalisons l'erreur qu'ils sont à même de commettre. Les phrases sont ponctuées admirablement par la musique d'Elfman. Celle-ci accentue le ton enjoué des propos de Jack Skellington. Naïvement l'on pourrait dire que Jack trouve en la musique son allié et semble même y puiser sa force, son dynamisme et un support pour ses envolées macabres.
 
The Nightmare before Christmas est un trésor d'ingéniosité, de poésie, de musique et d'imagination. Traînant derrière lui le préjugé qui veut que l'animation soit réservée aux enfants, ce film est pourtant une réussite spectaculaire, à ne manquer sous aucunprétexte. Il y a d'abord la richesse esthétique de l'univers proposé, le fourmillement des détails mouvants, des personnages secondaires tous extrêmement bien caractérisés. Les premières scènes qui présentent Halloweentown sont extraordinaires, rapides. Le film commence alors par le meilleur morceau. Tout est propre à Burton, bien qu'il ne soit pas le réalisateur. Mais il s'agit de son univers, ses coloris que l'on connaît de ses précédents films. The Nightmare before Christmas est un chef-d'äuvre d'abondance du détail, de qualité d'animation. L'imagination est au pouvoir dans l'univers un peu maléfique d'Halloween et dans la beauté sucre candy de Noëlville.
Le thème musical qui s'écoute en soi sert très bien le film. Danny Elfman, l'éternel compositeur de Burton, qui ici, non content d'écrire musiques et superbes chansons, est la voix chantée du personnage principal, Jack Skellington.
The Nightmare Before Christmas est désormais au Panthéon des films qui sortent de l'ordinaire, qui ravissent et qui surprennent. Celui-ci occupe le trône de sa catégorie. C'est grâce à ce genre de film et à Wallace et Gromit, que l'animation quitte peu à peu le domaine enfantin qui lui était dévolu.